Faut-il être un tyran pour être un bon artiste ?


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Anime News Network pointe aujourd'hui une série d'articles de l'éditeur Bunshun qui publie plusieurs longs extraits du nouveau livre de SUZUKI Toshio, Ghibli no kyôkasho 19 Kaguya-hime no monogatari (ジブリの教科書19 かぐや姫の物語, Manuel de Ghibli 19 Le Conte de la princesse Kaguya) dans lequel le producteur évoque son travail avec le réalisateur TAKAHATA Isao, disparu en avril dernier.


Certains passages sont effectivement assez violents, glaçants, comme celui rapporté sur la disparition de KONDÔ Yoshifumi. Mais cet extrait n'est pas tout ce qui est évoqué dans ces quelques passages dans lequel le producteur évoque surtout sa relation avec un artiste comme nul autre pareil avec qui il a travaillé pendant 40 ans.
Il y dresse le portrait d'un personnage à la très forte personnalité, aux convictions artistiques inébranlables devant qui que ce soit, son producteur, ses pairs, ses distributeurs ou autres investisseurs, pas exempt de défauts, ni de contradictions...
SUZUKI évoque plusieurs confrontations, provocations du réalisateur, ses problèmes de productions sur ses différents films, comme la fin de production du Tombeau des Lucioles sorti inachevé au cinéma, ce qui reste un souvenir indélébile pour le producteur.
Mais SUZUKI Toshio lâche aussi ses petites phrases choc dont il a le secret, provoquantes et déformant juste ce qu'il faut la réalité, sachant exactement l'effet qu'elles produiront en accroche, sans contexte, et sans forcément évoquer sa propre responsabilité, du moins dans ces quelques extraits.
Il raconte comment TAKAHATA a voulu abolir le système classique de production de l'animation japonaise qu'il a mis en partie en place sur le film Mes Voisins les Yamada, en confiant l'aspect artistique à une personne ou un groupe très réduit de personnes, alors que la tendance va à la fragmentation des postes et du travail.
Il illustre notamment ce propos en disant :
« À l'époque de Totoro, un animateur clé pouvait s'occuper d'une dizaine de minutes d'un film, mais maintenant, le travail s'est tellement fragmenté, complexifié, qu'un même animateur ne peut se charger de trois minutes d'un film actuel ».
Les anecdotes sont légions, notamment quelques rapports entre MIYAZAKI et TAKAHATA, comment le premier était furieux à la fin de la production des Yamada, une épreuve telle que la santé du studio (à tous les niveaux) a vacillé.
De même quand la production de Kaguya a commencé, c'est l'artiste TANABE Osamu qui occupait une place essentielle dans l'équipe artistique du film. Dessinant le matin, le réalisateur arrivait l'après-midi en lui disant que rien ne va. En arrière-plan, MIYAZAKI voyant le manège qui se met en place, et chaque matin, conseille l'artiste en lui disant :
« Surtout ne dis pas à TAKAHATA que je t'ai conseillé ça ».
Ce n'est pas pour autant que l'artiste suivait aveuglément les conseils, lui aussi très entêté et prêt à soutenir ses choix.
SUZUKI parle donc longuement de la production du film comme le fait que ce fut le président de Tokuma Shoten, UJIIE Seiichirô qui pousse SUZUKI, en insistant fortement, à relancer TAKAHATA sur un film. Et comme le producteur sait qu'il n'aura pas la force de faire ce film avec le réalisateur, il propulse donc le jeune producteur NISHIMURA Yoshiaki qui suivra le projet pendant 8 ans.
« Il a maigri de plus en plus. Il a commencé le travail sur ce film à 28 ans, pour le voir terminer à 36 ans. Entre temps, il s'est marié, a eu des enfants. Il a passé presque toute sa jeunesse sur ce seul film. Il s'est vraiment accroché. » décrit SUZUKI.
Et lorsque le jeune producteur s'inquiète de voir que le film ne respectera peut-être pas les délais, SUZUKI répond :
« « Si tu veux que le film soit achevé quand tu le souhaites, tu dois virer TAKAHATA. TANABE et ANDÔ pourraient très bien le terminer. » TAKAHATA a appris le français, c'est quelqu'un d'imprégné du rationalisme à l'européenne. Il ne dira jamais de lui-même qu'il arrêtera en cours de route, mais si son producteur lui dit que ce n'est plus lui le réalisateur du film, il réfléchira logiquement à la situation et se pliera à la décision.
Ce fut un aspect qui a beaucoup tracassé NAKAMURA. Au final, l'animation fut suspendue durant 3 mois, ce qui a permis à TAKAHATA de se concentrer sur la finalisation du e-konte. »
Le réalisateur aussi était assez rusé pour éviter de prendre certaines responsabilités tout en s'assurant qu'on lui demande de faire avec insistance certains projets, SUZUKI en est conscient également :
«MIYAZAKI a pu me dire : «  Tu es un de ceux qui ont poussé Paku-san (surnom de TAKAHATA) à faire des films. Personne n'avait désiré cela sinon. »
Tout comme lui-même, pour Alps no shôjo Heidi,était allé charger le réalisateur chaque jour chez lui pour le mettre au travail quand celui-ci renâclait à la tache.
Et si l'on remonte même avant, à l'époque de Tôei dôga, c'est ÔTSUKA Yasuo, le directeur d'animation qui avait déclaré : « TAKAHATA Isao doit faire de la mise en scène, c'est tout. » Ce qui avait déclenché la réalisation de son premier long métrage Taiyô no ôji Hols no daibôken. »

Au final, SUZUKI conclut :
« J'ai côtoyé TAKAHATA pendant 40 ans, et pas un instant, je n'ai pu me détendre. Une tension telle que même maintenant, après sa disparition, elle ne s'estompe pas. C'est un sentiment qu'on éprouve jamais. Si je devais bien le tourner, de manière jolie, je dirais qu'il est encore vivant dans mon cœur. Mais ça ne retranscrit pas exactement ce que je ressens. J'aimerais qu'il gagne le Nirvana, mais c'est comme s'il ne voulait pas gagner l'au-delà.
Qu'est-ce que je ressens ? Qui était-il au final ?
Avec MIYAZAKI, on voudrait tant connaître la réponse, c'est pourquoi depuis sa disparition, tous les deux, nous enchaînons les « veillées ».
En fait, dans son film actuel, Kimitachi wa dô ikiru ka, MIYAZAKI fait apparaître un personnage similaire à TAKAHATA. Je me demande comment il va traiter ce personnage. Après la disparition de TAKAHATA, MIYAZAKI a fait une pause de plus de deux mois dans son ekonte alors qu'il avançait très bien jusqu'à présent. C'est pourquoi, moi aussi, je ne peux me résoudre à laisser TAKAHATA reposer en paix pour le moment. C'est sans doute difficile à comprendre pour quelqu'un d'extérieur, mais c'est ce que je ressens en ce moment. »




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