Mujirushi – Le signe des rêves, Sebon zansu ne.
URASAWA Naoki, créateur
de Monster, 20th Century Boys et bien
d'autres, est passé plusieurs fois en France.
La dernière fois,
c'était pour le Festival d'Angoulême en début
d'année.
L'exposition qui lui était consacrée à
l'occasion, avant que celle-ci ne fasse un passage sur Paris, donnait aussi l'opportunité de
découvrir les premières planches de sa nouvelle série
Mujirushi – Le signe des rêves. Un sous-titre en
français dans le texte car la série fait partie d'une
série de collaborations entre différents mangakas et le
musée du Louvre.
Auparavant, il y eut
ARAKI Hirohiko, TANIGUCHI Jirô et MATSUMOTO Taiyô
qui publièrent le résultat de cette collaboration chez
Futuropolis.
Alors que Shôgakukan
vient de publier l'unique volume que compte la série au Japon,
les lecteurs français pourront découvrir la première
moitié de l'histoire le 23 août, dans un format
légèrement plus grand que l'édition Deluxe
japonaise, parue au format B5.
Mujirushi raconte
l'histoire de la famille KAMODA. Le père loser a mis
l'entreprise familiale en difficulté après avoir tenté
des coups assez malheureux. Sa femme le quitte alors pour partir en croisière sur un luxueux paquebot.
Il se retrouve ainsi seul
avec sa fille Kasumi, heureusement un peu plus dégourdie que
lui.
Suivant un corbeau nommé Maria, qui a un mystérieux
symbole (trois parallélogrammes accolés l'un à
la suite de l'autre) accroché à la patte, ils se
retrouvent au « Centre de recherche du français », devant le mystérieux directeur de l'établissement qui
va les embarquer dans une histoire plus que fumeuse, et les
propulsera au cœur du Louvre.
On croisera pêle-mêle
dans l'histoire Beverly Duncan, mélange entre Trump et Hilary
Clinton, sur le point de gagner haut la main l'élection
présidentielle américaine, Mme Bardot et son récital
de chansons, un flic trop vieux pour ces conneries, Johannes Vermeer,
peintre baroque néerlandais du XVIIe siècle à
qui l'on doit la fameuse Laitière, quiconque étant allé
dans un supermarché au rayon des yaourts ayant déjà
vu ce tableau.
Le « directeur »
plonge le père et sa fille dans un plan presque à la
Soderbergh, mais sans les moyens et l'expertise de Danny Ocean, tout
cela pour honorer une vieille promesse :
Rajouter un objet dans les
collections des musées, en soustraire un autre, et si possible
se faire assez de liquidités pour sauver l'entreprise des
KAMODA.
Ce mystérieux
directeur dont le nom n'est jamais prononcé dans le volume est
IYAMI, personnage créé par AKATSUKA Fujio dans
OSOMATSU-kun en 1964. La version actuelle des aventures de la facétieuse
fratrie est disponible chez Crunchyroll en simulcast (avec notamment
un improbable caméo de Yoshiki...).
IYAMI est un amoureux de
la France, prétend avoir rencontré Mitterand, avoir été
au courant pour Mazarine avant tout le monde, recevoir des coups de
fil de Sylvie Vartan, et bien d'autres choses...
Il parle un français
approximatif et termine toutes ses phrases par « zansu »,
mot mâché qui fait vaguement précieux.
Sous le coup de la
surprise, il peut lâcher l'interjection « Sheey ! »
qui donne le nom aux chapitres du volume (1er Sheey !, etc.).
Cette
interjection est peut-être une déformation du cri « Hey ! »
mais Wikipedia Japon indique que cela pourrait éventuellement
être une déformation du « Chié ! »
bien de chez nous, comme dans « Fait chier... ».
On restera circonspect sur l'anecdote, malgré le côté
fleuri de celle-ci.
Quoi qu'il en soit, l'interjection reste très familière et nostalgique au Japon, surtout accompagné du geste qui va avec. Elle est tellement populaire qu'en 1965 même Godzilla fait : « Sheey ! » dans un de ses films.
Comme l'action se passe
entre le Japon et la France, la communication entre les personnages peut se livrer à
quelques acrobaties amusantes.
La plupart du temps les
mots français sont en katakana pour les intégrer au
dialogue japonais, comme セボン
(sebon / C'est bon)...
D'autres fois, il y a quelques
phrases en français dans le texte, qui ne sont pas du tout traduites et ne sont donc pas
accessibles aux lecteurs japonais, comme durant cette descente de
police japonaise chez des supposés trafiquants d'art parlant,
eux, français. Le policier demande alors l'intervention d'un
interprète, ou encore un autre, dans une scène ultérieure, réquisitionnant un
collègue qui bredouille un peu la langue de Molière.
En général,
quand les personnages entre eux se comprennent, ils parlent japonais
(par exemple Mme Bardot et son petit-fils qui parlent un peu
japonais, devraient plutôt se parler en français
naturellement), mais quand la petite Kasumi fait un effort pour
parler en français, le tout est transcrit soit en katakana,
soit directement en alphabet romain.
Les personnages sont donc conscients qu'ils parlent différentes langues. Ils sont confrontés à la barrière du langage, et peuvent même parfois s'étonner que tel ou tel personnage en France parle japonais.
Même si parfois, pour des questions de commodités, l'illusion habituelle, la suspension volontaire de l'incrédulité linguistique, est invoquée discrètement pour nous faire accepter que tous ces personnages parlant japonais s'expriment chacun dans leur idiome idoine, on peut souligner l'effort de cohérence dans ce mic-mac linguistique qui peut vite devenir très complexe.
Il sera intéressant
de voir quels choix seront faits dans l'édition française
pour marquer le fossé linguistique qui sépare les
personnages, notamment le directeur qui se targue de parler français,
avec un décalage en japonais assez amusant.
En environ 260 pages, et
9 chapitres, URASAWA arrive à boucler son histoire souvent
bourrée d'exotisme pour le lectorat japonais (comme quand les
personnages découvrent les chouquettes). Il parvient pourtant également à nous faire visiter le Louvre, nous révélant quelques uns de ses recoins
inconnus, en y entremêlant une enquête policière, un
trafic d'art, de la politique avec une élection présidentielle
bousculée, et la vie d'une famille ballottée à
droite et à gauche.
Numéro
d'équilibriste toujours risqué, mais l'auteur arrive de
l'autre côté du précipice sans embûches, après avoir
marché sur un fil tendu entre la Tour Eiffel et la tour de
Tokyo.
Et le pas leste, il remet le pied sur la terre ferme comme si de rien n'était, même
pas mal !
Si l'histoire est
concentrée pour se boucler dans le volume imparti, avec quelques
éléments rentrés ici et là parce qu'il
fallait bien, la petite aventure se lit très facilement, et
encore une fois on se laisse porter par la maîtrise narrative
du mangaka.
Mujirushi – Le signe
des rêves
©
2018 Naoki URASAWA/N WOOD Studio
Édité
au Japon par Shôgakukan
Édité
en France par Futuropolis et le musée du Louvre
Parution
le 23 août pour le tome 1
Prix
: 20 €
Tome
2 à paraître le 11 octobre 2018
144
pages en noir et blanc, et en couleur pour chacun des 2 tomes
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