Lettre à Okko

©令丈ヒロ子・亜沙美・講談社/若おかみは小学生!製作委員会
© Hiroko Reijo, Asami, KODANSHA / WAKAOKAMI Project

Cette fin d'année est quand même bien chouette au niveau des sorties anime dans les salles françaises. Après A Silent Voice, et avant Maquia, et Mirai, en fin d'année, une nouvelle sortie à noter cette semaine.

En effet, en salles depuis mercredi 12 septembre, il va falloir profiter rapidement de l'occasion de découvrir le nouveau film de KÔSAKA Kitarô qui avait été présenté il y a quelques mois au Festival d'Annecy.


Le film commence sur un fait dur, voire morbide, mais en l'abordant sans pathos, ce qui va définir le film : 
Ne jamais perdre sa joie de vivre même dans les moments difficiles. La force de caractère de l'héroïne est impressionnante, voire surprenante après le traumatisme qu'elle va vivre...

L'héroïne, c'est SEKI Oriko, et elle perd ses parents dans un accident de voiture auquel elle survit miraculeusement.
"Okko" commence alors à voir Uribo, un jeune fantôme, (jeune, en apparence seulement) bien content de pouvoir parler à quelqu'un.
La petite fille est recueillie par sa grand-mère qui tient un ryôkan, une auberge traditionnelle où vienne se reposer les voyageurs dans la ville thermale de Hana-no-yu. 
Poussée par Uribo, elle va aider sa grand-mère à gérer l'établissement, et même si elle n'est qu'en primaire, elle va commencer à apprendre les ficelles du métier. Elle deviendra même par ses attentions, sa gentillesse, un argument de poids qui va peser dans la popularité de l'établissement.
Elle va apprendre à vivre avec ses nouvelles camarades de classe, ses concurrentes, les gens de l'établissement Haru-no-ya, et les différents visiteurs, qu'ils soient vivants ou non...


Okko et les fantômes est adapté d'une série de livres de la romancière REIJÔ Hiroko, Waka-okami wa shôgakusei! (litt. La jeune aubergiste est une écolière !)
Une vingtaine de volumes (en général auto-conclusifs) publiés entre 2003 et 2013. La série connut un bon succès sur l'archipel, avec 3 millions de livres vendus tous numéros confondus.
Le scénario a été adapté depuis les romans pour le film par YOSHIDA Reiko qui a décidément le vent en poupe, car on a pu voir récemment son nom au générique du film Koe no katachi (A Silent Voice,  YAMADA Naoko, 2016).
Elle est passée aussi chez Ghibli, en écrivant le scénario de Neko no ongaeshi (Le Royaume des chats, MORITA Hiroyuki, 2002)


Le film est réalisé par KÔSAKA Kitarô, ancien habitué du Studio Ghibli qui retrouve ici de vieilles connaissances de Madhouse pour produire son film en collaboration avec DLE.
Ce dernier est un studio spécialisé dans l'animation flash connu d'abord pour des séries absurdes aux budgets et à l'animation plus que limités comme Taka no Tsume (Eagle Talon) ou l'anime de Thermae Romae en 2012.
Et de fait, l'anime utilise de nombreux éléments et plans en CG, (voitures, certains personnages, certains plans) sans que cela dénote trop en général.
Une série TV, en 24 épisodes, a également mise en chantier en parallèle, et diffusée durant l'été au Japon, pour profiter de l'exposition, mais le design et les personnages qui apparaissent différent légèrement.
Justement, niveau design, pour le film, aucun character design n'est mis en avant, si ce n'est le nom de la dessinatrice Asami, qui avait assuré les dessins des romans originaux. Encore une fois, le designer n'est pas nommé ici, et c'est le nom du réalisateur qui est mis en avant.

Pourtant le design très rond et très enfantin du film le rend immédiatement accessible à un public très jeune. Avec ses grands yeux, ses sourcils fins (enfin, ça dépend des personnages), sa rondeur et son volume accentué parfois par l'espèce de rendu cell-shading que l'on peut ressentir parfois, ses couleurs chatoyantes, cela m'a fait penser à une production Level Five, comme par exemple Yo-kai Watch, ou d'autres, qui elles aussi s'adressent d'abord à un public d'écoliers.

KÔSAKA, le réalisateur, a produit par le passé son premier film chez Madhouse, un moyen métrage sur le cyclisme intitulé Nasu Andalusia no natsu, (Nasu, un été andalou), en 2003 et en travaillant régulièrement en free avec le studio sur divers projets.
C'est donc 15 ans plus tard qu'il revient à la réalisation, après un gros crochet chez Ghibli, où il a fait beaucoup d'animation.
Il a pu collaborer avec les différents réalisateurs de Ghibli, devenant directeur de l'animation pour la première fois sur Mimi o sumaseba (Si Tu tends l'oreille, KONDÔ Yoshifumi, 1995).
Jusqu'à assurer à lui seul la direction de l'animation de Kaze Tachinu (Le Vent se lève, MIYAZAKI Hayao, 2013) et plus récemment en travaillant sur Bakemono no ko, (Le Garçon et la bête, HOSODA Mamoru, 2015).
Les décors somptueux du ryôkan et de la nature environnante, sont aussi un point fort du film. Parmi l'équipe artistique, on ne manquera pas de noter la présence d'OGA Kazuo, un des piliers artistiques du Studio Ghibli.
À la direction de l'animation, vu que KÔSAKA, réalisateur, ne peut se démultiplier tout de même, HIROTA Shunsuke qui a participé au projet Ghiblies 2 (MOMOSE Yoshiyuki, 2002), en faisant des intervalles dessus. 
Puis il est devenu assistant directeur d'animation en 2010 sur Karigurashi no Arrietty (Arrietty, le petit monde des chapardeurs, YONEBAYASHI Hiromasa, 2010), avant d'assurer récemment l'animation de Kimi no na wa (Your Name, SHINKAI Makoto, 2016).
Et c'est MIMA Masafumi qui a dirigé la dimension sonore du film, un habitué de Madhouse qui a pu collaborer notamment avec KON Satoshi.

L'équipe est plutôt bien armée pour assurer une qualité technique irréprochable, et le film ne déçoit donc pas sur ça.
Même si l'histoire en général ne se prête pas à l'action échevelée ou aux moments de bravoure. On a tout de même droit à quelques jolis plans d'animation, en pure anim', quand on découvre le personnage de Glory, la diseuse de bonne aventure qui roule en Porsche, ou aidés par les CG durant une jolie scène faisant apparaître les carpes en tissus, les koinobori, hissées pour la fête des garçons, début mai, au Japon.
On y retrouve aussi l'amour de la représentation de la bonne chère (la bouffe c'est sacré !) et d'autant plus dans ces auberges qui se targuent de recevoir leurs hôtes avec le plus d'attention possible.
Il s'agit du célèbre omotenashi, l'hospitalité à la japonaise.
Parfois étouffante, ou surprenante, il s'agit pour l'invité de se laisser dorloter par l'hôte qui anticipera tous ses désirs magiquement à l'avance, car celui qui reçoit sait mieux que l'invité ce qu'il désire, c'est bien connu.
Pour autant, il n'y a rien de guindé ou de contraignant dans l'hospitalité du film qui, au contraire, nous montre une petite Okko qui arrive à faire du bien à ses clients rien que par une parole gentille, une attention spontanée. Le reste de l'équipe n'est pas reste, comme le cuisinier qui s'adapte aux contraintes alimentaires d'un client en convalescence. De quoi donner envie d'aller se délasser dans l'établissement et de se régaler des spécialités du coin.

Et les fantômes dans tout ça ?
Eh bien, s'ils sont bien présents, parfois un peu espiègles, ils sont tout de même très présentables et vont plutôt rendre service à Okko plutôt qu'à la maudire, ou lui rendre la vie impossible.
Et quand celle-ci va grandir, s'intégrer à sa nouvelle vie, et en même temps arrivera à faire le deuil de ses parents, elle s'éloignera progressivement de ses amis de l'au-delà.

Le réalisateur s'amuse aussi à semer légèrement le doute sur la réalité de ces fantômes... Est-ce que Okko voit bien ses parents encore veiller sur elle, ou rêve-t-elle d'eux simplement à cause de son accident ?
Voit-elle des fantômes, ou s'imagine-t-elle des amis paranormaux à partir des porte-clés peluches suspendus à son sac ?

Le film réfléchit bien sûr aussi sur l'acceptation du deuil, et fait mouche quand il évoque l'angoisse des tout-petits (mais pas qu'eux) d'être abandonné subitement. 
Okko est toujours joyeuse, enjouée, volontaire, mais devra apprendre tout de même à accepter sa douleur, et à laisser s'exprimer ses sentiments.

Malgré cette dimension qui évoque des angoisses profondes, le film lui, n'est jamais violent, choquant, anxiogène.
Très beau, chaleureux, touchant, sans vouloir impressionner gratuitement, il s'agit d'un film intelligent à aller voir sans problèmes avec ses enfants.
Dans ce cas, il sera sans doute mieux de privilégier la VF, même si je n'ai pas eu l'occasion de la voir pour ma part.

Les plus grands, eux, ne devront donc pas se laisser rebuter par son design enfantin de prime abord.
Sa durée tout à fait raisonnable, environ 95 min, fait qu'on ne s'ennuie pas un seul instant durant ce voyage dans la campagne japonaise.
Un périple entre Momo he no tegami (Lettre à Momo, OKIURA Hiroyuki, 2012) et Totoro, sans oublier qu'on ne pourra s'empêcher d'avoir quelques réminiscences de Chihiro, sans invoquer toutefois un bestiaire fantastique trop poussé.

Une jolie réussite pour KÔSAKA, qui sans doute, n'aura pas le succès phénoménal de ses prestigieux prédécesseurs, mais il faut espérer que celle-ci lui donnera tout de même l'opportunité de se lancer dans de nouveaux projets car ce serait un crime de ne pas avoir davantage de belles histoires dans le genre.

Okko et les fantômes
Réalisé par KÔSAKA Kitarô
Madhouse / DLE
En salles depuis le 12 septembre 2018
Distribué par Eurozoom


©令丈ヒロ子・亜沙美・講談社/若おかみは小学生!製作委員会
© Hiroko Reijo, Asami, KODANSHA / WAKAOKAMI Project


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