Tokyo Idols - Documentaire sur Arte




Arte proposait il y a quelques temps le documentaire Tokyo Idols, dans le cadre d'une thématique Japon. Mais le temps que je me décide à boucler ces quelques réflexions, le programme n'est désormais plus disponible en ligne. ^^
Soit dit en passant la page indiquait Tokyo Girls en rebaptisant le documentaire...
C'est un film de MIYAKE Kyoko, coproduction entre le Canada et la Grande Bretagne, avec une foule de chaînes et de producteurs... Encore un projet qui a dû être simple à monter. ^^

Pendant une cinquantaine de minutes, le documentaire propose de découvrir ce monde en suivant quelques idol en particulier, et leurs fans les plus hardcore.
Problèmes de communication des otaku, de leur rapport à leur virilité, et féminisme au programme, le tout entrecoupé de quelques interviews d'intervenants extérieurs...
Tentative de dresser un état des lieux en quelques exemples de parcours aux alentours de 2014 / 2015.


Le film est principalement centré sur la chanteuse HIIRAGI Rio, qui a débuté en tant qu'idol en 2011, et a pu passer en France durant Japan Expo en 2015, ou pour d'autres événements.
Elle continue sa carrière actuellement, même si elle reste assez confidentielle.
Elle n'a pas sorti de single depuis 2 ans, mais continue ses tournées dans tout l'archipel.
Et à 23 ans, elle continue ses voyages en vélo, comme on peut le voir dans le film.
On la voit avec sa famille, en concert, avec ses fans, en train d'enregistrer avec un compositeur connu du milieu, HYADAIN, qu'on entendra malheureusement qu'assez peu...
On la voit également se tracasser sur ses revers de carrière quand elle n'a pas eu tel ou tel rôle, se disant que c'est parce qu'elle n'avait pas assez travaillé.
Ça, c'est gratuit, ça fait plaisir. C'est pour alimenter un petit coup le mythe de la méritocratie, ou plutôt de la « gambarucratie » à la japonaise, mis en avant dans chaque shônen. Si on travaille assez dur, on sera forcément récompensé, c'est bien connu, la vie, c'est forcément comme ça, non ?
(Qu'importe si on doit y laisser toute sa jeunesse, ne soyons pas chafouins, même si la chanteuse elle même reconnaît qu'elle ne pense qu'au travail...)
On peut y découvrir une jeune fille solitaire, prenant soin de sa communauté sur les réseaux sociaux, et bien otaku elle-même. On peut éventuellement déceler un soupçon d'arrivisme quand elle dit que sa carrière d'idol n'est qu'un tremplin pour une future carrière.
Le genre de déclaration qui n'avait pas trop servi une ancienne Morning Musume(la jeune KUSUMI Koharu, à l'époque, pour ne pas la nommer) qui avait déclaré à la radio qu'elle considérait le groupe comme un marchepied pour d'autres activités. Ses collègues en avaient été évidemment ravies...

On peut voir également quelques membres du groupe Harajuku Story (ou Harajuku monogatari en japonais). Le groupe, toujours actif, a muté en "monogatari" tout court début 2018.
Il y aussi le petit groupe Idl P, encore actif également, ainsi que le groupe Amore Carina. La branche tokyoïte de la formation ayant interrompu ses activités en avril 2018, faute de membres, chacun étant parti vers d'autres projets.
On peut y reconnaître notamment KIYONO Momohime, devenue une des têtes récentes du Hello ! Project, ayant intégré la formation Ame no mori kawaumi, lui-même faisant partie du super-groupe BEYOOOOONDS. (Vous avez décroché ? Ce n'est pas grave, ce n'est pas le plus crucial).
Pour terminer, sur les formations présentées dans le docu, on peut apercevoir des groupes comme les Dempagumi Inc. les Up Up Girls (Kari), ou les AKB 48, au passage de quelques images, mais elles n'auront pas droit à la parole...

Côté fan, le documentaire se focalise sur une niche, cherchant (à dessein ou non, ce n'est pas forcément clair) un peu le sensationnalisme. La caméra suit plusieurs fans hardcore, dont un qui a lâché son travail et suit son idol préférée. Il se transforme à limite en community manager, ou simili manager, préparant des tables de goods, ou des activités durant les concerts... Pour le plus grand bonheur de l'idol indé qui n'a pas de gros moyens.
On en revient à la passion, n'est-ce pas ?
Pourquoi se faire payer pour ça quand on est motivé, et qu'un sourire de l'idol lui suffit...

Plusieurs pistes sont évoquées pour expliquer pourquoi des adultes de 20, 30, 40 ans, si ce n'est plus, suivent ces groupes, voire sont un peu bloqués façon monomaniaque, dessus.
Certains sont très lucides sur leur situation.
Les plus jeunes pouvant encore en général se laisser bercer par quelques illusions. Ils ont pu avoir des copines, des relations, qu'ils ont abandonnées car l'investissement demandé était trop fort pour eux, trop complexe, à moins qu'ils ne se soient tout simplement fait larguer.
Ici, la relation est plus cadrée, plus sécurisée et sécurisante.
Comme un shoot de sucre, de café, ou d'adrénaline, une petite minute avec un sourire, un peu de chaleur et d'innocence, vaut pour eux beaucoup plus que d'autres rapports sociaux formatés, dans le boulot ou ailleurs...
Une fois revenus de l'illusion de leur relation avec tel ou tel membre, certains se rendent compte que ces activités leur auront permis malgré tout de s'intégrer à un cercle, à un milieu, de socialiser avec d'autres gens par ricochet, même si ce n'était pas le but premier, et que ce n'était pas la connexion recherchée de base.
C'est sans doute là qu'on peut réfléchir sur ce que veut dire une relation sociale dans ces conditions, et dans la société japonaise.
Quand certains fans font tout leur possible pour passer quelques minutes avec leur idol, les filles retiennent certains noms, certains visages. Certes, c'est une connexion. Une connexion limitée, alors que le manager, jamais bien loin, tire par la manche celui qui s'attarde un peu trop, et bloque le flux de passage des autres spectateurs, comme on peut le voir dans un extrait.
Les filles sont reconnaissantes et au moins comprennent que c'est le public qui les fait vivre, tandis que le public hardcore, lui, est touché d'une telle reconnaissance. Il sera pourtant difficile de dépasser cette relation « bloquée ». Quand on voit le reflet dans le miroir, on peut éventuellement toucher le reflet, mais jamais le rejoindre de l'autre côté du miroir.

Le film explique certains points de manière très claire, mais parfois s'aventure sur des terrains plus glissants et moins convaincants.
C'est la première fois qu'on peut entendre un journaliste spécialisé japonais expliquer que ceux qui suivent les groupes très jeunes sont dans une sorte de régression nostalgique.
Comme quand on nous bassine chez nous des grandes thèses sur les trip adulescents, type Club Do' ou Gloubi Boulga Night.
Pourquoi pas ?
C'est sûrement vrai dans certains cas, mais ce n'est pas du tout l'argument le plus convaincant.
Il y a aussi ce parallèle très casse-gueule fait entre le Japon actuel et le Royaume-Uni des années 70...
Un rapprochement douteux entre le mouvement idol et le punk UK...
La subversion, l'urgence, l'improvisation, la singularité, le désordre, voire l'émeute, voilà qui décrit parfaitement, en effet, le phénomène idol...
HIIRAGI Rio, Sex Pistols, même combat....
C'est sûr que quand t'as payé entre 30€ et 70€ un billet pour un event (sans compter l'éventuel billet de train, plus l'hébergement et le budget goods / CD, etc), tu es vraiment un rebelle contre le système.
Le capitalisme n'a qu'à bien se tenir.
Bref de sarcasmes...
L'argument de la soupape de sécurité, lui, marche mieux. Ou encore le fan disant qu'il veut en profiter maintenant, lui, est plus proche de l'idéologie "No Future"...

Le documentaire voudrait aussi poser un regard féministe sur le phénomène, avec une intervenante très intéressante à ce sujet, mais qui ne va ouvertement dans cette direction que rarement.
Ce qui est dommage, car à part dire : "C'est très compliqué, les réactions vont être violentes", ça ne va pas beaucoup plus loin.
Il y aurait sans doute d'autres angles à adopter s'il fallait s'engager dans cette voie. Cela étant bien entendu que je ne suis pas le plus pertinent pour parler féminisme, mais bref.
Sans parler que le docu ne se permet pas une remise en perspective ou un contre-exemple en citant des artistes ou des femmes japonaises qui sortent du carcan idol (comme UTADA Hikaru ayant débuté à 16 ans, ou encore des sportives comme OSAKA Naomi).
Si le stéréotype de la femme japonaise, mignonne et soumise, existe bien, la réalité est plus subtile tout de même.

C'est aussi dans ce genre d'aspects qu'on peut voir les limites de l'exercice.
Le plus compliqué dans les entretiens est d'arriver à dépasser le côté promo pour les artistes. Et pour les idol, l'encadrement par le management, en général, se pose là.
D'autant plus qu'on leur pose rarement des questions sur le féminisme ou l'existentialisme...
Ne serait-ce que de toucher du doigt une certaine sincérité est toujours complexe. On imagine mal une idol finir par péter un plomb, et commencer à incendier ses fans par exemple...
Du côté spectateurs, il faut arriver à trouver ceux qui voudront bien s'exprimer face à la caméra, et accepteront aussi de se livrer un peu. Alors qu'une de leurs caractéristiques fondamentales est justement d'avoir du mal à s'ouvrir, à entrer en relation.
Il est évident qu'il est rare que ce genre de personnes s'expriment frontalement sur leur sexualité par exemple.
À ce sujet, même si on tombe des cas encore plus extrêmes voire possiblement romancés, on pourra consulter le manga "la Virginité, passé 30 ans" sorti récemment en français chez Akata :
Les quelques exemples présentés en moins d'une heure dans le film sont censés permettre de tirer quelques généralités sur un mode de vie. Ce qu'on ne peut pas faire, car ce n'est pas la vérité.
Certes, certains otaku à fond, vivent ainsi, mais combien de temps ?
La réalité finira par les rattraper, la fameuse pression sociale japonaise, aussi.

Le documentaire n'est pas non plus exempts de quelques imprécisions biaisées.
Par exemple lorsqu'il donne quelques informations sur les AKB48...
Si elles remplissent des dômes, vendent des CD à la pelle, peu de Japonais, en faisant une enquête dans la rue, pourraient citer le nom de quelques membres un peu connues, surtout que les premières générations de "visages" du groupe ont quitté les effectifs depuis quelques temps désormais.

Parfois, le film est presque malhonnête, par exemple quand on voit un homme de 40-50 ans masser HIIRAGI Rio en disant :
"Ah quel honneur de masser une idol",
Creepy... ?
Ah ben non, l'honneur est sauf, on apprend quelques instants plus tard, qu'il s'agit de son père.

Le film donne en général peu de contextualisation, de chiffres, d'historique, et montre l'expérience vécue un peu tel quel.
Par exemple, quand il dit que toucher la main est un acte sexuel, cela serait à nuancer.
Se tenir par la main en couple, embrasser dans la rue, peut être gênant au Japon, aussi bien pour ceux qui le font, que pour ceux qui assistent au spectacle...
Mais une poignée de main dans une relation de travail quand un visiteur étranger rencontre un partenaire japonais n'aura, normalement, rien de sexuel. Si gêne il y a, c'est une simple question de timing, l'interlocuteur étant désarçonné sur le « déroulement » de la poignée de main...

Tokyo Idols évoque un peu les questions d'argents, mais surtout pour les fans.
En général, il reste sage et ne pose pas les questions qui fâchent, ou gênantes.
Le documentaire reste sur l'équation jeune fille / vieux monsieur, alors que le public tend à se diversifier un peu.
Ainsi le public féminin devient de plus en plus présent dans les concerts d'idol, comme le montre la séquence où une petite fille rêve de devenir comme celles qu'elle voit sur scène.
Il ne précise pas non plus que le mot idol, au Japon, n'est pas forcément genré, et peut désigner aussi des groupe masculins.
Par exemple, la fin du groupe SMAP a fait les gros titres des médias en 2016.

Enfin, le documentaire ne parle pas de la dichotomie nécessaires pour ces jeunes filles qui vont encore à l'école, et naviguent entre cours, famille et entraînement ; et en général, pendant le week-end et vacances, concerts et event.
Sans compter que le travail des mineurs est évidemment encadré au Japon.
Les activités du showbizz étant parfois même soumis à obligation de résultats scolaires pour que les idol continuent leur carrière...
Cette double vie peut perdurer jusqu'à la fin de la fac, même si le début des études supérieures est souvent une charnière, un repère qui oblige à de grands choix :
Continuer sa carrière, mener les deux de front...
Se consacrer aux études, ou à un emploi hors du showbizz ?

Il n'y a pas un mot sur les perspectives des artistes.
Certaines jeunes filles après la vingtaine, et déjà une douzaine d'années de carrière sur les planches ne sont pas toutes assurées de devenir chanteuses... Certaines pourront devenir comédiennes, d'autres se marieront. Certaines disparaîtront dans l'anonymat de manière plus ou moins subite.
Certaines pourront aussi être dévoyés dans l'industrie pour adultes, etc...
C'est un monde extrêmement dur, où souvent débarquer à 20 ans sans bagages, signifie ne pas faire le poids face aux autres qui se sont déjà produites sur scène des centaines de fois.

Enfin, l'adaptation est souvent ponctuée de petites bizarreries, d'imprécisions...
Ainsi, une des premières paroles de chanson traduites parlent de "virginité", une bien curieuse manière de traduire le mot 青春, seishun, la jeunesse.
Certes, certaines paroles de chansons se veulent parfois équivoques ou sulfureuses, mais ce n'était pas forcément le cas ici.
Sans vouloir jouer les inspecteurs des travaux finis, certains choix ne manqueront pas d'accrocher l'œil des plus maniaques.
Le mot idol est systématiquement écorché.
Si au moins, ce n'est pas "idole" à la française, l'équipe n'arrive pas à se mettre d'accord sur une forme dans la narration ou dans les sous-titres. Parfois c'est « des Aïdolsse », d'autres «  des aïdolz » (en faisant attention à ne pas faire la première liaison). Bref, le rendu est assez moche.
Difficile de ne pas tressaillir également quand on entend que les « aïdollse » veulent jouer "à" Budôkan.
Brrrr...
Enfin, il y a Akihabara, la Mecque des otaku....
Un classique de la traduction automatique du japonais 聖地, (seichi, sanctuaire), même si le terme メッカ (mecca) en tant que tel peut être employé.
Pour en finir avec les imprécisions, le Zepp Tokyo serait la plus grande salle du Japon ?
Non, clairement pas...
Les AKB48 qui ont 300 membres ?
En fait, c'est durant les fameuses « élections » qui englobent une dizaine de groupes qu'on atteint un tel chiffre, et souvent, la moitié des filles ne sont pas présentes...

Au final, ce n'est pas un mauvais documentaire, mais d'innombrables points seraient à raffiner, à développer.
D'autres dimensions sont laissées inexplorées, comme le management, le travail des équipes, chorégraphes, musiciens, compositeurs, techniciens, tourneurs, les luttes internes, les scandales...
Si cynisme il y a quelque part dans ce monde, il vient du business haut placé probablement.
Toute une vie parallèle qui dépassent souvent les jeunes filles qui font de leur mieux, en toute innocence la plupart du temps, et qui ont déjà bien assez à apprendre pour ne plus savoir où donner de la tête.

Commentaires

Articles les plus consultés