Interview Agartha


© Makoto Shinkai/CoMix Wave Films

Voyage vers Agartha

Réalisation : SHINKAI Makoto. Disponible chez All the anime en Bluray

 Shinkai Makoto était de passage à Paris, début juillet 2012, pour présenter son dernier film en date, Voyage vers Agartha, dans le cadre du festival Paris Cinéma.

Il s’était fait fortement remarquer dès son premier court métrage, Voices of a distant star, ou Hoshi no koe en japonais, qu’il avait réalisé pratiquement tout seul.

Shinkai :  Cela fait dix ans que j’ai commencé à faire de l’animation.

Tout au début, je montrais ce que je faisais à mon entourage, à mes amis les plus intimes.

C’était le cas pour Voices of a distant star.

C’était pour ma petite amie de l’époque, ma famille.

Vraiment, mes proches.

J’espérais leur faire passer un bon moment, leur redonner un peu le moral.

Les années se sont écoulées, et mes œuvres ont dépassé les frontières.

Mais j’ai toujours du mal à croire que des gens que je n’ai jamais rencontrés puissent regarder mes films.

Après ce film très remarqué, le cinéaste confirme son succès critique et son talent de réalisateur avec les longs métrages La Tour au-delà des nuages en 2004 et 5 cm par seconde en 2007.

Cette période reste une époque très particulière dans son parcours.


Shinkai : Ce que je conserve en mémoire, c’est le moment où mon studio était aussi mon domicile.

Durant la production de La Tour au-delà des nuages et 5 cm par seconde, l’appartement où je vivais me servait également de lieu de travail.

L’équipe des films venait donc chez moi chaque jour, c’était un lieu de production.

Il n’y avait aucune distinction entre mon boulot et ma vie privée.

Aujourd’hui, je me rends compte que ce mode de vie est assez extrême.

Mais en jetant un regard en arrière sur cette époque, comment dire ?

Il y avait toujours une atmosphère de camarades d’école, comme des gens motivés par le projet de fête du lycée.

Il y avait des aspects durs, mais aussi très amusants.

Quand l’équipe venait chaque jour chez moi, je me retrouvais sans aucune intimité.

Et quand on produit un film, cela prend un, deux ans.

C’est très cool sur le moment.

Et plus on est jeune, plus on apprécie cela.

Mais il y a peu de chances qu’on puisse persévérer toute sa vie à ce régime.

Si on fonde une famille, par exemple.

C’était super de rassembler ses amis comme si on lançait une grande fête, de dormir sur place pour avancer sur son projet.

Mais quand je me suis dit que je continuerais bien à faire des films pendant dix, vingt ans…

J’ai pensé qu’il fallait faire une distinction claire entre mon travail et ma vie privée.

Le thème de la communication est souvent au cœur des œuvres du réalisateur.

Ses personnages s’envoient des messages par-delà l’espace et le temps, gênés par des obstacles bien réels comme une grève de train, ou les lois de la physique, notamment la relativité générale.

Mais ils n’ont qu’une envie : 

se comprendre entre eux.

Shinkai : En 2008, j’ai vécu à Londres. J’ai eu l’impression de retomber en enfance.

Principalement à cause de la communication. Je ne pouvais pas du tout parler anglais.

Enfin si, je disais quelques mots.

Mais je ne me faisais pas comprendre.

Pour le bail de mon appartement, cela a été très dur.

J’ai beau être un adulte, je n’y arrivais pas, j’étais très frustré d’être ainsi bloqué.

Et j’ai eu cette réflexion : c’est ce que doivent ressentir les enfants.

Il y a beaucoup de choses qu’on ne peut pas faire soi-même quand on a cet âge, beaucoup de sujets qu’on ne peut pas maîtriser.

J’ai fréquenté une école pour apprendre l’anglais aussi, durant un certain temps.

Je suis redevenu étudiant, alors que j’ai fini mon cursus universitaire depuis un moment !

J’avais des contrôles, on devait s’entrainer à l’oral, on m’a demandé de participer à des matchs de cricket.

Ça m’a remis en mémoire ma vie étudiante.

À l’époque, je n’étais pas un élève des plus brillants, et pas un enfant très doué niveau communication.

Ce n’est pas que je détestais l’école, mais je ne m’y suis jamais senti à l’aise.

Et c’était la même chose à Londres.

Quand j’avais fini les cours, je revenais chez moi, j’étais enfin seul, je pouvais me détendre, et le soir, j’aurais dû faire mes devoirs.

Mais c’était plus fort que moi, je voulais avancer sur mon prochain projet.

Et c’est là que j’ai jeté les bases d’Agartha.

Maintenant que j’y pense, adolescent, c’était la même chose.

Rentré chez moi après l’école, je dessinais, et je travaillais sur des histoires, même si je les gardais encore pour moi.

Londres a donc été une expérience qui m’a permis de me remémorer une période de ma vie qui a été fondatrice pour moi, un point de départ.

Cette expérience londonienne aura poussé le cinéaste à comprendre ce qui l’intéresse dans sa manière de raconter ses récits.

Que ce soit tout seul ou au sein d’une équipe de deux cents employés, sous forme de court métrage ou d’un film de deux heures.

Ce qui le passionne avant tout, c’est de restituer l’histoire qu’il a en tête.

Shinkai : Je suis un réalisateur de films d’animation plus qu’un mangaka, je n’ai pas trop de goût pour l’interactivité.

C’est la même chose pour les jeux.

Dans le passé, je travaillais pour une société de jeux vidéo.

Et si je réfléchis à ce qui me causait le plus de stress, personnellement, dans un jeu vidéo, c’est que le joueur s’interpose partout.

Par exemple, la musique se déroule...

Et pile au moment où ça devient cool, quand je veux lui montrer tel événement avec la musique qui va bien, si le joueur n’est pas dans le rythme, la musique va boucler.

Et je ne peux pas contrôler cet aspect du jeu, je n’aime pas ça.

Alors que si je décide de faire un long métrage de deux heures, ce sera deux heures pour le spectateur, ou une heure si j’en ai envie.

J’apprécie que les gens regardent ce que j’ai fait, une œuvre que j’ai construite, structurée un maximum, dans le cadre de temps que j’ai défini.

C’est cette forme du média qui me plaît.

Le graphisme a priori enfantin que Shinkai utilise dans ses films peut être trompeur.

S’il se veut ouvert à un public familial, il n’hésite pas à inclure certains éléments dans ses histoires qui pourraient être considérés comme anxiogènes par les âmes les plus sensibles.

Shinkai : Le tout est de connaître à partir de quel âge les enfants peuvent regarder Agartha.

Sans doute que pour les 6-7 ans, il y a des scènes trop effrayantes dans mon film.

J’ai un neveu, un enfant dans la famille, qui avait, je ne sais plus…

6 ans ? Non, 5.

Il est venu voir ce film alors qu’il n’avait que 5 ans.

Et effectivement, durant le passage avec les Yi, il a eu trop peur et il est parti.

Mais à l’inverse, un autre de mes neveux, qui, lui, avait 11 ans, a beaucoup aimé cette séquence, et n’a pas décroché tout du long.

C’est pourquoi, de ce que j’en ai vu, je dirais que c’est une œuvre que les enfants peuvent apprécier à partir de 10 ans.

Voyage vers Agartha est un film qui reprend des thématiques qui pourront paraître familières à certains :

Un monde fantastique, un rapport à la nature très important, un sens de la poésie toujours présent.

Certains auront vite fait de prononcer le nom d’un réalisateur devenu synonyme d’« animation japonaise respectable » en Occident et de son studio tout aussi célèbre : le studio Ghibli, bien sûr.

Shinkai : Parfois, on pointe cette ressemblance pour me féliciter.

Et parfois pour exprimer un regret, car le film ne correspond pas exactement à ce que certains spectateurs en attendaient.

Quand c’est un compliment, cela me fait simplement très plaisir.

Le studio Ghibli fait partie de ceux qui représentent l’animation japonaise dans le monde. C’est toujours synonyme d’œuvre de très grande qualité.

Si me dire que mon film fait penser à du Ghibli revient à déclarer que j’ai réussi à m’approcher de leurs standards de qualité, j’en suis heureux.

D’un autre côté, cela peut-être une manière de m’expliquer qu’Agartha ne ressemble pas à ce que j’ai réalisé auparavant, que ce n’est pas « mon » style.

Dans ces circonstances, j’ai toujours un peu envie de m’en excuser.

Mais seulement… Comment dire ?

Sur un plan plus personnel…

Jusqu’à présent, on me faisait remarquer que mon œuvre la plus représentative était 5 cm par seconde.

Mais je n’en avais pas vraiment conscience.

C’est simplement qu’au moment de la production du film, j’ai donné tout ce que j’avais pour créer le meilleur résultat possible.

Et tant que plusieurs années ne se sont pas écoulées, je pense qu’on ne peut pas se faire un avis posé sur un film.

Peut-être que dans quelques années, on ne dira plus que c’est 5 cm par seconde ma réalisation la plus représentative, mais Agartha.

Ou bien encore mon nouveau projet, celui sur lequel je travaille en ce moment.

Et j’ai très hâte de voir comment l’appréciation de mes œuvres va évoluer d’ici une dizaine d’années.

Commentaires

Articles les plus consultés