Interview Your Name

              

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Your Name

Réalisation : SHINKAI Makoto. Disponible en vidéo chez All the anime. 


Your Name, le nouveau film de Shinkai Makoto, a été un succès phénoménal au Japon dès sa sortie durant l’été 2016.

De passage à Paris, pour une avant-première de son long métrage qui s’apprêtait à débarquer dans les salles françaises, le cinéaste humble et chaleureux, nous a accordé l’entretien suivant.

Un vrai moment de grâce.


EP :

Pouvez-vous vous présenter, s’il vous plaît ?

SHINKAI Makoto :

Je m’appelle Shinkai Makoto, je suis réalisateur dans l’animation.

Enchanté.


EP :

De même.

Your Name, Kimi no na wa, joue sur les changements de corps. 

S :

Oui.

EP :

Si jamais un jour vous vous réveillez dans le corps d’une femme, quelle serait votre première réaction ?


S :

Eh bien, dans le film…

Le protagoniste masculin, Taki, réagit exactement de la manière dont je le ferais.

Si le même phénomène m’arrivait, j’aurais typiquement cette réaction.

En ouvrant les yeux, je me dirais que j’ai une drôle de voix.

Forcément, au niveau de la poitrine…

Il y aurait quelque chose d’étrange…

Oui, je vérifierais bien des choses.

 EP :

Le film joue aussi sur les voyages dans le temps, sur l’évocation du passé.

J’imagine que beaucoup de spectateurs doivent se sentir nostalgiques quand ils voient Your Name.

Avez-vous eu des retours du public dans ce sens ?

S :

J’ai eu vraiment des retours très variés.

Mais ce qu’il y avait en commun…

C’est que tout le monde s’est beaucoup attaché à Taki et Mitsuha.

Bien sûr, je ne vais pas raconter la fin de l’histoire…

Mais les gens semblaient inquiets de savoir ce qui va leur arriver.

J’ai surtout constaté de nombreuses réactions dans le genre.

Et ensuite…

Pour cette fois, comme vous avez dit, j’ai inclus également quelques notions de voyage dans le temps.

Et en même temps, il y a le body swapping, l’échange des corps.


Il y a aussi des éléments folkloriques comme le kumihimo, une forme de tissage.

J’établis un antagonisme entre Tokyo et la campagne.

C’est un long métrage qui comporte de nombreux thèmes de manière assez complexe.

C’est amusant de voir chaque personne réagir à des endroits différents du film.

Par exemple, en ce qui concerne le côté traditionnel.

Il est souvent présent quand la grand-mère apparaît, elle parle du musubi.

C’est une croyance ancienne du shinto.

Pour certains spectateurs, c’est cette explication du musubi qui va être marquante…

Alors que pour d’autres…

Ce sera le changement de perspective entre homme et femme le plus divertissant pour eux.

Chacun a sa sensibilité.

EP :

Ça me fait penser que…

La semaine dernière peut-être…

Une amie m’a appris qu’elle faisait du kumihimo en France, tout comme dans Your Name.

Quand j’ai découvert ça, j’ai trouvé ça très amusant qu’en France on puisse retrouver ce genre de tissage traditionnel.

Comment vous est venue l’idée d’inclure le kumihimo dans le film ?


 S :

Cela est né d’une idée répandue au Japon.

Le fil rouge du destin qui relie deux personnes.

Un fil attaché aux doigts de deux êtres que rien ne peut briser.

Je désirais reprendre cette image d’une manière ou d’une autre.

C’était le tout premier concept.

Your Name est une œuvre qui raconte avant tout l’histoire d’amour entre Taki, le garçon, et Mitsuha, la jeune fille.

Il fallait par conséquent trouver un élément qui puisse symboliser le lien entre les deux personnages.

Je souhaitais une représentation visuelle de ce lien qui se tisse entre eux deux.

J’ai donc pensé à un fil, ou une ficelle…

Mais en se contentant de cela, cet élément se réduirait à un accessoire de mode, rien de plus.

Je voulais que le tout ait une signification plus profonde dans le récit.

C’est à ce moment de la réflexion que je me suis orienté vers l’artisanat traditionnel japonais.

J’ai fouiné dans ce domaine ce qui pourrait bien rendre visuellement, en animation.

En poussant mes recherches, j’ai alors pensé au tressage kumihimo.

 EP :

Maintenant, c’est à notre tour de vous proposer un petit voyage dans le temps.

On a préparé quelques images.

(On sort une tablette sur laquelle commence à défiler quelques images.)


S :

Ah, qu’est-ce que ça peut être ?

 EP :

En fait, en 2003, nous étions venus vous voir, alors que vous finissiez de travailler sur The Voices of a Distant Star.

Que pensez-vous de ces images ? 

S :

Ah, la ligne Musashino.

Là, on est à Saitama.

Ouah…

J’étais jeune.

Ça fait remonter des souvenirs.

On avait vraiment fait ça ?

Je ne m’en rappelle plus du tout ! 

EP :

C’était à l’occasion d’un documentaire sur vous pour la chaine Game One.

C’est une chaine française. 

S :

Ah, d’accord.

J’aurais bien envie de découvrir ce que donne ce documentaire.

C’est une bouffée de nostalgie, là.

J’ai été surpris de me voir si jeune !

EP :

À l’époque, vous travailliez dans votre appartement, n’est-ce pas ?

S :

Oui, en effet.

 EP :

Sur Your Name, vous avez dirigé une équipe conséquente, quelle a été la différence majeure dans votre manière de travailler sur ce film ?

 S :

Depuis le moment où je réalisais The Voices of a Distant Star de nombreuses choses ont changé.

Mais fondamentalement…

Ce n’est pas parce que mon équipe s’est accru que c’est devenu plus difficile de bosser, ou de faire ce que je veux.

Pas du tout.

Au contraire, je peux désormais me permettre des scènes que je n’aurais jamais pu faire en solitaire.

J’ai de nombreux artistes pour m’aider, et c’est un énorme point positif.

À l’époque de The Voices of a Distant Star, j’étais littéralement tout seul sur le projet.

Je ne voulais en aucun cas faire apparaître plus de deux personnages simultanément à l’écran.

Cela demande immédiatement beaucoup plus de travail, et d’éléments à dessiner.

C’est pourquoi il n’y a que deux protagonistes dans ce film.

Puis, au moment de La Tour au-delà des nuages, je suis passé à trois rôles.

Deux garçons, et une fille.

J’ai ainsi augmenté progressivement les composants qui entrent en scène dans mes œuvres.

Mais pour Your Name, j’ai une équipe formée de nombreux animateurs de génie qui ont travaillé sur ce long métrage.

J’ai pu créer une séquence dans un Shinjuku bondé.

Les limitations quant à ce que je peux faire dans mes films se lèvent peu à peu.

C’est un des principaux changements.

Mais d’un autre côté, cela reste une production en équipe.         

Il faut faire en sorte que la communication passe bien auprès de tous les collaborateurs.

Cela peut constituer une source de frustration.

Ça peut générer du stress pour tout le monde, et évidemment pour moi aussi.

Dans l’industrie de l’animation, beaucoup de personnes ont leurs petites manies.

De temps en temps, ils ne viennent pas au studio le matin…

Ou alors…

D’autres fois, ils ne veulent pas écouter ce qu’on leur dit.

Quand la tension due au travail en groupe se fait trop pesante, je n’aie pas envie d’aller au studio, cela peut se produire parfois.

Mais récemment, quand cela m’arrive…

Je me contente dès lors d’avancer chez moi sur des tâches que je peux faire seul, notamment quand je réfléchis à mes romans.

Quand je ne veux pas être en équipe, je progresse sur mes livres.

Et quand la solitude est trop présente, je retourne en studio pour bosser avec tout le monde.

Je crois que je commence à trouver un rythme bien à moi.

C’est pourquoi, comment dire…

Je suis satisfait d’avoir des collaborateurs sur laquelle je peux m’appuyer.

Même si parfois, ce n’est pas évident, et de manière réciproque.

Mais je suis heureux de m’organiser de cette manière, et à cette taille.

 EP :

Au moment de travailler sur une scène de foule à Shinjuku, et que vous devez répartir les plans aux animateurs, est-ce que vous avez des remords ?

Pensez-vous :

« Oh, les pauvres, quand même… » ?

Ou bien, vous n’avez pas de pitié, et vous leur demandez de dessiner cette scène très difficile ?

 S :

Eh bien, je suis sincèrement navré.

Je leur explique que je suis désolé de leur confier une séquence si compliquée,

mais que je compte sur eux en leur donnant le plan.

Et la scène est finalement faite quelle que soit la difficulté.

Comme l’équipe est conséquente, on trouve toujours chaussure à son pied, j’ai envie de dire.

Il y a des animateurs doués pour dessiner des scènes de foules…

Alors que d’autres veulent éviter.

C’est pourquoi…

Eh bien…

J’essaie de faire en sorte que chacun puisse choisir les plans dont il aimerait se charger.

 EP :

C’est Andô Masashi, le directeur d’animation sur ce film.

Il a travaillé sur des œuvres très connues du studio Ghibli, mais aussi ceux de Kon Satoshi.

Comment s’est passée la collaboration avec lui ?

 S :

C’est quelqu’un d’impressionnant.

Je le considère presque comme une légende vivante.

Il était sur le Voyage de Chihiro, ou encore Tokyo Godfathers, Paprika

C’est un peu comme s’il avait participé à chaque film extraordinaire en animation.

Je pensais que ce serait impossible qu’il puisse intégrer l’équipe de Your Name.

Je suis quand même allé lui demander.

Quand j’ai appris qu’il acceptait et qu’on allait travailler ensemble, j’étais très heureux…

Et en même temps, je l’ai un brin regretté.

Il faut dire, c’est quelqu’un d’exceptionnel.

Il est d’une exigence hors de portée.

Pour se mettre à son niveau, c’est presque impossible.

Cela a été une épreuve pour toute l’équipe de se hisser jusqu’à ce que M. Andô considérait comme acceptable.

C’était très dur.

Mais je sais que c’est pour lui que ça a été le plus compliqué.

De tout le staff, c’est lui qui a trimé le plus.

Il papote très peu, non, il ne discute pas.

Et il ne sort pas au restaurant, ou autre, pour aller manger.

Il grignote un onigiri, tout en continuant à son bureau.

C’est à peine s’il va aux toilettes !

Dès qu’il arrive au studio, il prend son crayon, se met à dessiner…

Et ne le repose qu’avant de partir.

Il a fait ça pendant un an !

C’est formidable.

Pour ma part, je n’ai jamais croisé Miyazaki Hayao…

Mais j’ai cru déceler en creux chez M. Andô, la manière de travailler de M. Miyazaki.

 EP :

À l’époque de Voyage vers Agartha, on disait déjà de vous que vous étiez le nouveau Miyazaki.

Et c’est probablement d’autant plus le cas désormais avec Your Name.

Mais cette fois, plus qu’une ressemblance avec le style Miyazaki, pourrait-on dire qu’il y a un style « Andô » qui se dégage du film ?


 S :

Je vois.

Pour ce qui est du chara-design

Il y a en effet le style de M. Andô, mais aussi celui de Tanaka Masayoshi.

Il est connu pour des séries comme Ano hi mita hana no namae o bokutachi wa mada shiranai, surnommée Ano Hana, et de différentes œuvres diffusées tard le soir au Japon.

Je lui ai demandé de faire les premières recherches sur les personnages.

Et c’est M. Andô qui a dû les adapter pour les animer.

C’est donc un mélange de leurs deux styles.

En le formulant autrement…

M. Tanaka possède une identité graphique à la pointe de ce qui se fait de plus raffiné, et de charmant dans ce genre de productions.

Le style de M. Andô quant à lui, lui a valu d’être associé à l’image de Ghibli.

C’est un trait doux et agréable visuellement, familier de tous depuis longtemps.

Your Name arrive à mélanger ces différents éléments.

Le design atteint un équilibre harmonieux entre ce côté traditionnel, et des aspects plus innovants.

Les personnages ont donc une saveur « Tanaka-Andô » inédite.

 EP :

Concernant la musique, elle est également très travaillée.

Plusieurs morceaux du groupe RADWIMPS sont utilisés.

Mais à l’inverse de ce qu’on voit d’habitude, ce n’est pas réservé au générique de fin.

Les chansons sont insérées finement dans le montage du film.

Comment s’est passée la collaboration avec eux ?


S :

C’était très amusant à faire, et en même temps, très complexe.

Mais tout comme ce que je disais pour M. Andô…

C’est probablement pour le groupe que ça a été le plus dur.

Pour cette production, nous ne sommes pas allés les voir en leur présentant le film complet, et en leur demandant de nous créer un générique de fin.

Nous leur avons fourni le scénario pour qu’ils le lisent.

Et par la suite, en fonction de ce que ça leur inspirait, c’était à eux de nous proposer des morceaux.

Ils se sont mis au travail.

Ils m’ont ensuite envoyé quelques titres vraiment merveilleux comme Zenzenzense

J’ai été charmé par ces chansons.

Mais en retour, ils ont modifié ma vision du film, et me donnaient d’autres idées.

Je suis alors revenu sur le scénario pour mieux me caler sur les mélodies.

J’ai même changé le storyboard !

C’est alors que j’ai eu envie de modifier encore un peu la musique.

Je leur ai demandé quelques corrections à ce moment…

Et les allers-retours se sont succédé de manière continue.

Cela a bien duré un an et demi !

J’ai vraiment eu l’impression de faire le film avec le groupe RADWIMPS.

Celui-ci aura eu un impact réel sur l’histoire dans sa globalité.

Parfois, nos opinions divergeaient, avec des accrochages…

Je me souviens d’une période où je me disais qu’on devrait arrêter de travailler ensemble, qu’on n’arriverait sans doute pas à en voir le bout.

Mais finalement…

Que ce soit envers leur musique ou le long métrage, ce sont des personnes sérieuses et raffinées.

Ils ont composé de nombreux titres, qui participent au rythme enlevé du récit, et à son ambiance rafraîchissante.

Oui, on doit tout ça aux morceaux de RADWIMPS.

EP :

En 2011…

Lors de la sortie d’Agartha, vous nous disiez qu’avec le temps qui passe, peut-être que celui qu’on estime votre film le plus représentatif changerait.

5 ans se sont écoulés, est-ce que cela a effectivement évolué ?

Est-ce que c’est devenu Your Name ?

S :

En effet, ce devrait être le cas.

Avant Agartha, j’ai réalisé un omnibus intitulé 5 cm Per Second, en 2007.

Et pendant longtemps, c’est le film qu’on citait comme représentatif de ce que je faisais.

Quand je demandais aux fans qui avaient vu Agartha, ils me répondaient qu’ils adoraient 5 cm Per Second.

De même quand les gens ont découvert Garden of Words, ceux qui mentionnaient 5 cm Per Second continuaient à être un nombre considérable.

Mais avec la sortie de Your Name

Je crois que le nombre de personnes qui associent mon nom à ce long métrage a énormément augmenté.

C’est pourquoi j’ai l’impression d’avoir réalisé une œuvre que je peux enfin dire emblématique de mon travail.

EP :

Avez-vous été surpris du succès monumental du film ?

S :

Oui, très surpris.

Je ne m’y attendais absolument pas.

En ce moment, au Japon, Your Name a rapporté 20 milliards de yens (environ €162,7 millions).

À vrai dire, l’équipe considérait que si nous atteignions l’objectif des 2 milliards de yens, ce serait déjà un énorme hit.

De base, on peut dire objectivement qu’un tel chiffre indique un gros succès.

C’était ce à quoi on aspirait.

Et nous dépassons au décuple le but fixé.

Ce qui veut dire que 15 millions de personnes ont vu le film.

Cela veut peut-être dire que le monde a changé d’une certaine manière.

J’ai donc été très surpris.

Mais cela m’a tourmenté également.

Je me suis demandé comment interpréter un tel résultat.

Est-ce qu’en un sens je suis arrivé au sommet de ma carrière ?

Cela m’effraie un peu, car parfois une pensée me trouble : et si à l’avenir, cela ne se reproduisait plus jamais ?

Plein d’idées du genre m’ont traversé.

EP :

Comment s’est passée l’avant-première française, hier soir ?

Très bien, c’était chouette.

Le public français…

À vrai dire, je pensais que les Parisiens étaient plus réservés.

Mais les gens qui sont venus hier étaient des passionnés, le public était très chaleureux.

Ils se sont levés par deux fois pour applaudir.

Ils voulaient tous poser des questions.

Ils ont beaucoup ri.

C’était un moment magique.

J’ai pu assister à des avant-premières dans différents pays…

Et celle en France a été particulièrement intense.

Cela m’a regonflé le moral !

EP :

Merci beaucoup !

C’est fini !

S :

Merci à vous. 


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