Le Garçon et le Spoil

Ne voulant sans doute pas se plier aux exigences marketing des grands partenaires publicitaires habituels, le producteur Suzuki Toshio a fait le pari pour le dernier film (en date ?) de Miyazaki Hayao de ne pas montrer une seule image, un seul trailer du film si ce n’est un poster/croquis, avant la sortie japonaise.

Puis les images ont ensuite fleuri, mais je n’ai regardé que le minimum de matériel possible pour me réserver la surprise au maximum.

Le film ne sort que mercredi prochain, mais projections presse et avant-première ont déjà lieu.

L’heure est donc venue de découvrir le prochain Ghibli, un long métrage de 2 h, et nouveau film de Miyazaki, le Vent se lève datant déjà de 2013, censé être son dernier film, héritage, et pourtant moyennement convaincant à bien des points.

 

Le Garçon et le Héron, contrairement à son titre japonais, n’a absolument rien à voir avec le pensum assommant de  Yoshino Genzaburō, publié en 1937 « Et vous, comment vivrez-vous ? » (Kimi-tachi wa dō ikiru ka), et ses leçons de morale lourdingues à son petit protagoniste parfait, ou son admiration pour Napoléon Bonaparte (oui, il y a une part de trauma de m’être infligé ça).

Pour être honnête, le seul point intéressant du livre est contextuel, car ses idées progressistes alors que le pays se ruait droit vers la Seconde Guerre mondiale devaient détonner à l’époque.

Mais contrairement à ce que le titre et le peu de communication maladroite qu’il y a eu auraient pu faire croire, si on n’était pas habitué aux contorsions du genre, le seul clin d’œil au livre vient du fait que le jeune protagoniste parcourt l'ouvrage durant le film. Autre clin d’œil, sur la même pile de livres qu’il fait tomber, il y a un volume du Roi Cerf, série de romans adaptés à l’écran il y a quelque temps par Andô Masashi, sûrement le film le plus « Ghibli » qui a pu être fait ces dernières années, même si le réduire à cela, ne lui rend pas justice.

Tout comme il serait un peu simple de réduire Le Garçon et le Héron à un simple film somme, bilan de toute la maitrise de Miyazaki, 82 ans, désormais. Et pourtant, le film transpire de toutes ses œuvres précédentes par tous les genga, de la course dans le vide, de la verticalité, du Conan Fils du Futur, du Laputa, une voiture qui se déforme à la Lupin, du Chihiro inquiétant (la première partie étant sans doute ce que le réalisateur a fait de plus angoissant peut-être de toute sa carrière), du Mononoke avec des mascottes de la forêt sympa, des tunnels de végétation à la Totoro, des souterrains « Nausicaesques » qui pourraient être remplis de spores, des marins qui naviguent sur la mer, comme dans l’île au trésor, des tanks aux rivets affleurants chers à son cœur…

Le tout mis en valeur par les meilleurs animateurs japonais, à commencer par Ôhira Shinya, Ôtsuka Shinji, Inoue Toshiyuki pour des scènes impressionnantes comme la scène d’ouverture très frappante, et une qualité technique évidemment difficile à surpasser.

Si ce n’est parfois quelques dissonances cognitives, comme cette tartine de confiture préparée par une femme qui recueille le jeune héros, loin d’être parfait, pas très attachant, mais qui s’améliore durant le film, la jeune femme coupe donc une tranche de pain, le son du couteau fait sonner le pain croustillant alors que l’anim' semble moelleuse. Tout comme un vidage de poisson géant qui demande un effort alors que la chair semble faite de gelée…

Ou en passant sur le traitement des fientes d’oiseaux, motif récurrent du film qui n’a pas l’air de beaucoup gêner les personnages.

 

Le réalisateur est plutôt dans sa zone de confort, malgré un registre assez surprenant en début de film qui revient dans un merveilleux plus classique ensuite. Il fait du Miyazaki, du très bon Miyazaki, et même pour une fois, arrive à retomber sur ses pieds plutôt bien.

Tout comme Hisaishi à la musique est dans ses petits souliers se laissant porter par les côtés du film qui lorgnent de loin vers le gothique parfois se permet quelques passages moins convenus.

Le réalisateur laisse vivre ses personnages et décide de ce qui leur arrive au fur et à mesure, ce qui permet de découvrir la suite des aventures au fur et à mesure sans trop savoir ce qu’il va se passer, le tout n’étant pas écrit en fonction de besoins de formules scénaristiques, mais en laissant vivre organiquement les aventures des personnages, cela peut aboutir parfois à des résolutions d’histoires qui ne seront pas le point fort du film, il faut bien dire.

Ce qui n’est pas le cas pour cette fois, les questions soulevées sont résolues de manière assez convaincante, malgré les incongruités que le scénario se permet.

Ce n’est pas par son émotion ou son humour que le film se distingue, et les péripéties mettent un peu de temps à arriver, le début du film mettant plus l’accent sur l’anxiété du personnage et de l’ambiance, ce qui a occasionné un silence religieux durant la séance…

 

Il y aurait de quoi disséquer le film à l’envi, mais encore une fois, il n’y a pas forcément de grande morale à tirer du tout (la guerre c’est mal, les hommes sont-ils foncièrement bons ou mauvais ? Trop lire rend-il fou ?), si ce n’est le passage à l’âge adulte et une réflexion pas trop poussée sur le deuil, la vie ou la mort.

Que reste-t-il donc du film après visionnage et le grand spectacle qu’il offre régulièrement ? Pas certain du tout, le film n’est évidemment pas une coquille vide, mais n’évoque pas forcément grand-chose non plus, peut-être la faute à des personnages un peu plus plats et moins attachants que d’habitude ?

Cela demanderait certainement un nouveau visionnage pour approfondir la réflexion.

 

Le Garçon et le Héron

 Studio Ghibli, réalisé par Miyazaki Hayao

En salles, le 1er novembre 2023

 Distribué en France par Wild Bunch

© 2023 Studio Ghibli



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