Porte d'entrée vers l'univers de Shinkai Makoto


À l’occasion de la sortie de Suzume en salles, petit tour d’horizon de la carrière et de la filmographie de Shinkai Makoto.


Le futur réalisateur passe son enfance dans la région de Nagano, dans une ville entourée de montagnes. Le trajet pour aller au lycée via les lignes locales lui prend 40 minutes à chaque fois.

Il monte ensuite à Tokyo pour aller à la fac.

Pendant ses études, il se trouve un petit boulot chez Falcom, société de jeux vidéo.

Quand il finit ses études en 1996 à 23 ans, n’empruntant pas la voie qui lui aurait fait reprendre l’entreprise familiale, il devient un employé régulier de Falcolm.

Il y fait du design pour le packaging des jeux, les phrases d’accroches de ceux-ci, et produit ses premiers génériques de débuts pour les RPG Eiyû Densetsu Gagharv Trilogy (英雄伝説 ガガーブトリロジー) ou encore Y’s II Eternal (イースIIエターナル) sur PC.


         


Débuts

Sur son temps libre, il dessine et produit un court métrage, en 1998, sorti en février 99, d’une minute trente :

Tooi sekai – Other Worlds.  (遠い世界)


Une série de plans fixes, en noir et blanc, avec quelques images de trains sur la musique lancinante de la Gymnopédie n°1 de Satie.

Il s’agit de sa toute première œuvre à son compte, et il y est encore crédité par son patronyme.

Le clip se fait remarquer durant le festival eAT’98, puis il remporte le 12e concours CG Anime Contest en 2000 avec son court autoproduit qui sort en 1999 :

Elle et son chat (彼女と彼女の猫, Kanojo to Kanojo no neko, their standing points.)

 

© Makoto Shinkai/CoMix Wave Films © 2012 KAZE SAS

Elle et son chat (Kanojo to Kanojo no neko, their standing points.)

 Réalisation : SHINKAI Makoto, Disponible chez Kazé en Bluray


Ce court, qui dure presque 5 minutes, en noir et blanc, dispose d’une mise en scène épurée.

Il se joue ainsi des contraintes de production fortes, et de moyens limités.

En mars 2016, ce titre servira de base à une série de 4x8 minutes, en couleurs, réalisée par une autre équipe : Kanojo to Kanojo no neko -Everything Flows.

©Makoto Shinkai/CWF・彼女と彼女の猫EF製作委員会


Elle et son chat est disponible sur le blu-ray de 5cm per second, sorti chez Kazé en 2012.


Le roman, écrit par Shinkai et Nakagawa Naruki, quant à lui, est paru en 2021 aux éditions Charleston, qui vient de rééditer l’ouvrage à point nommé, en mars dernier.

Elle et son chat

Makoto Shinkai, Naruki Nagakawa, traduit par Myriam Dartois-Ako 

Éditions Charleston, paru le 14 mars 2023


Durant la période où le jeune artiste est encore employé chez Falcom, il travaille sur ses courts quand il rentre chez lui, ne dormant alors en moyenne que 3h par nuit.

Durant l’été 2001, après 5 ans passés chez le développeur, il prend son indépendance pour se concentrer sur ses projets personnels, loin des univers de fantasy sur lesquels se centraient toujours les titres de Falcom.

Il peut se consacrer alors pendant 8 mois, quasiment tout seul, à son prochain projet :

Voices of a distant star. (ほしのこえ, Hoshi no koe)

© Makoto Shinkai/CoMix Wave Films © 2010 KAZE SAS

The voices of a distant star

Réalisation : SHINKAI Makoto, Disponible en DVD chez Kazé


Évidemment, le court de 25 minutes accuse désormais un peu son âge et il serait facile de critiquer ses aspects techniques parfois un peu faiblards.

Phénomène d’autant plus accentué de nos jours alors que la 4K règne mais que le court n’est disponible qu’en DVD au format 4/3.

Cette œuvre, sortie en février 2002, a valu pourtant une reconnaissance immédiate au jeune cinéaste.

Et pour cause, il l’a réalisée quasiment tout seul.

Autodidacte, Shinkai assure ici tout ce qui touche aux images de synthèse, au scénario, à la mise en scène, l’animation, les décors, et le montage de son film.

Une véritable prouesse technique de ce simple fait.

L'histoire joue avec le principe de relativité de manière très plaisante, et on est tenté parfois de faire le rapprochement avec une série comme Gunbuster, même si la sensibilité du réalisateur n'a évidemment rien à voir avec le rythme trépidant du studio Gainax.

Hoshi no koe raconte le voyage de Mikako, une jeune fille qui s’est engagée dans la Flotte spatiale des Nations unies.

Les humains ayant découvert récemment une technologie d’une race extraterrestre, les Tarsiens, ils peuvent désormais explorer l’univers.

Alors qu’elle s’éloigne de la Terre, Mikako tente de rester en contact avec Noboru, son meilleur ami.

Mais les messages mettent de plus en plus de temps à parcourir les distances…

La communication, et la distorsion de l’espace-temps, sont des thèmes classiques de SF qui avaient été déjà évoqués, par exemple, comme déjà cité, dans Gunbuster.

De plus, le traitement de son thème, typique de Shinkai, à savoir la communication entre les êtres, fleure bon la première réalisation d’ANNO Hideaki où ce dernier exploitait déjà cette dimension dès 1988.

Soignant ses cadrages, dans une approche que l'on sent très littéraire, Shinkai s'intéresse avant tout au rapport entre ses personnages.

Il fait la part belle aux plans posés et au silence.

Silence qui représente l'attente de chaque protagoniste, qui espère l'arrivée d'un message de l'être cher depuis l’autre bout de la galaxie.

Au-delà de l’anecdote de ses conditions de réalisation, de sa valeur en tant « qu’acte de naissance » du réalisateur, le film reste une histoire touchante à découvrir.

The voices of a distant star ne fut diffusé que dans une seule salle japonaise, au cinéma Shimo-Kitazawa Hollywood, mais a bénéficié d’un très bon bouche-à-oreille sur le net japonais et peu à peu internationalement, puis se vend à 60 000 exemplaires lors de sa sortie en DVD.

 Le film obtient ensuite plusieurs prix en festival.

En France, dès 2004, une émission « Focus » produite via la société Pocket Shami et diffusée sur la chaine Game One à l’époque, s’intéresse au réalisateur.

 

Jusqu’en 2008, Shinkai accepte des commandes commerciales, notamment pour l’éditeur de jeux vidéo pour adultes minori, afin de réaliser les scènes d’introduction de cinq de leurs jeux.

Des petits clips, parfois à caractère fantasy, mais dénués de tout caractère coquin, comme, par exemple le premier jeu de l’éditeur BITTERSWEET FOOLS.

BITTERSWEET FOOLS, minori, 2001

Durant cette période, en septembre 2002, il publie aussi un court manga de 16 pages dans le magazine Shin-Genjitsu.


Enfin, en 2003, il participe à l’émission populaire Minna no uta, en mettant en images la chanson Egao (Sourire) interprétée par Iwasaki Hiromi.

©2003 by Japan Broadcast Publishing Co.,Ltd.&GLOBULE MUSIC PUBLICATION CO, LTD/
 2003 NHK Enterprises 21 / 2003 Makoto Shinkai / CoMix Wave Films

Il participera également à plusieurs autres courts et publicités, listés sur son site officiel :

https://www.shinkaiworks.com/film-works

 

Passage au long métrage

 

Fin 2004, le réalisateur passe à l’étape suivante et monte en puissance.

Il propose son premier long métrage, La Tour au-delà des Nuages (雲のむこう、約束の場所, Kumo no mukō, yakusoku no bashoThe place promised in our early days) littéralement : De l’autre côté des nuages, à l’endroit promis, distribué en France par Pathé Vidéo en 2009.

© Makoto Shinkai/CoMix Wave Films © 2017 KAZE SAS

La Tour au-delà des nuages

Réalisation : SHINKAI Makoto. Disponible chez Kazé en Bluray


Shinkai dispose alors d’une équipe un peu plus importante, ce qui entraine une évolution de la structure Comix Wave qui l’accompagne depuis ses débuts en un embryon de studio d’animation.

Le long métrage dure cette fois 91 min et le jeune réalisateur, à peine trentenaire, s’aventure alors à raconter une uchronie.

Dans un Japon divisé en deux pays, le récit tourne autour d’une mystérieuse tour qui semble être la clé afin d’ouvrir un passage vers un univers parallèle.

Le film se concentre également sur la promesse qui unit trois personnages :

Hiroki, Takuya, et Sayuri, une jeune fille atteinte de catalepsie, et donc plongée dans un profond sommeil.

On y retrouve le thème du temps qui passe, et qui modifie la relation entre les personnages, ainsi qu’un peu de fantastique.

Le réalisateur apprend à maitriser la narration sur un rythme plus long, avec plus de personnages qui interviennent.

 

Trois ans après son premier long métrage, en 2007, Shinkai revient à un format dans lequel il semble plus à l’aise à cette période, le moyen métrage.

5cm per second (秒速5センチメート, Byōsoku 5 senchimeetoru) dure en effet 63 minutes.

© Makoto Shinkai/CoMix Wave Films

5cm per second

Réalisation : SHINKAI Makoto. Disponible chez  All the anime en Bluray


Le cinéaste continue à réfléchir à d’autres histoires, et prend l’habitude d’écrire différents scénarios qui évolueront par la suite systématiquement en roman. Durant l’écriture de plusieurs petites histoires, il se rend compte que plusieurs d’entre elles sont reliées, ce qui aboutira à 5cm per second.

L'histoire décrit cette fois la relation à distance qui naît entre Takaki et Akari, alors qu'ils sont encore collégiens.

Le récit prend la forme de trois chapitres distincts au sein du même film.

Ici, pas de SF ni d’éléments fantastiques, mais du pur quotidien, un des thèmes de prédilection de Shinkai.

Le quotidien, simplement, et des environnements très reconnaissables, notamment du cœur de Tokyo.

Les décors sont sublimes, l’animation, elle, est toute en subtilité et en douceur.

C’est beau, c’est poétique, légèrement mélancolique…

Le film exprime encore une fois la difficulté pour chacun d’exprimer ses sentiments, de rester en contact malgré la distance et la vie qui change pour tous.

Avec ses lycéens tokyoïtes qu’un train sépare, ses fleurs de cerisiers, on voit poindre quelques signes de Your Name, dans un film qui a été très apprécié du public.

Shinkai décrit avec beaucoup de justesse les sentiments de ses protagonistes :

Comment chacun fait l’expérience du temps qui passe, comment chacun perçoit celui ou celle qu'il aime, et comment chacun ressent la distance humaine qui sépare les cœurs les uns des autres.

Sur le DVD proposé en France chez Kazé en 2010, le film possède une VF réalisée par le studio Soundfactor d'une qualité très correcte, mais la sensibilité et la subtilité minimaliste des dialogues se prêtent mieux à la sobriété d'une VOSTF dénuée de tout reproche.

L’éditeur proposait également un DVD bonus, contenant le court Elle et son chat, et quelques interviews plus anecdotiques.

 

Le syndrome Ghibli

 

En 2011, Shinkai s’essaie de nouveau au long métrage avec Voyage vers Agartha,  (星を追う子ども- Hoshi o ou kodomo, Children Who Chase Lost Voices from deep below), une histoire qui, elle, verse complètement dans le fantastique.

 

© Makoto Shinkai/CoMix Wave Films

Voyage vers Agartha

Réalisation : SHINKAI Makoto. Disponible chez All the anime en Bluray


Elle dépeint le voyage d’Asuna, une jeune fille solitaire, qui rencontre le mystérieux Shun, alors qu’elle se fait attaquer par une étrange créature en pleine montagne.

C’est le début d’un voyage vers le pays mystique d’Agartha.

Comme le réalisateur le confiait dans un entretien en septembre 2012, (disponible ici ) il a eu l’idée de ce film durant un séjour à Londres, en 2008.

Confronté à la barrière du langage, il s’est remémoré l’impuissance, et la frustration, que l’on peut connaître fréquemment durant l’enfance et l’adolescence.

Le film est superbe, les décors sont flamboyants.

Ses thématiques, ses monstres, ainsi que sa réflexion sur l’écologie ont nourri les comparaisons entre le travail de Shinkai, et celui du Studio Ghibli.

Comparaison tout à fait superficielle, mais nourrie par la suite par sa collaboration avec d’autres artistes réputés du studio et qui continue de plus belle de nos jours.


 

Le réalisateur n’a pourtant ni l’intention, ni la prétention, de se comparer à Miyazaki Hayao, figure désormais intouchable internationalement.

C’est un réflexe naturel du public de vouloir trouver un successeur au grand-père grognon qui n’en finit pas d’en finir, ou non, sa carrière. 

Ce serait l’enterrer un peu vite avec son prochain long métrage en bonne route vers les salles obscures. Et vous, comment vivrez-vous ? (君たちはどう生きるか? Kimi-tachi wa dō ikiru ka) est en effet prévu le 14 juillet 2023 au Japon et il s'inspire d’un roman de Genzaburō Yoshino publié en 1937 et disponible en français chez Philippe Picquier depuis 2021.

 

     


Le long métrage de Shinkai, quant à lui, sorti en 2011, dure 116 minutes et n’est pas exempt de quelques longueurs.

Le côté contemplatif du réalisateur qui marche extrêmement bien sur ses œuvres précédentes se révèle ici un peu moins touchant.


Le Shincat, il ne sait pas s’il veut faire du court ou du long.

 

En 2013, Shinkai alterne de nouveau de genre et de format, avec The Garden of Words, (言の葉の庭, Kotonoha no niwa).

© Makoto Shinkai/CoMix Wave Films © 2014 KAZE SAS

The Garden of Words

Réalisation : SHINKAI Makoto. Disponible chez Kazé en Bluray


Un moyen métrage de 46 minutes, ancré dans la réalité japonaise.

On y fait la connaissance de Takao, un lycéen qui rêve de devenir cordonnier.

Un jour de pluie, il va dessiner dans un parc et partage un abri avec une inconnue, Yukino.

Au fil du temps, les deux personnes prendront l’habitude de se retrouver sous le même kiosque les jours de pluie.

Le réalisateur offre ici un récit poétique et mélancolique, dans lequel les choix sentimentaux, et les difficultés de communication tiennent un rôle crucial.

Les décors réalistes offrent une utilisation des images de synthèse impressionnante.

Le film se concentre également sur une représentation très poussée de la pluie.

Garden of Words ne dure peut-être que 45 minutes, mais c'est un bonheur à suivre.

Shinkai offre en peu de temps une histoire très touchante, tout en subtilité, parsemée d'un peu de poésie japonaise.

Une expérience sensuelle, littéralement : Elle fait travailler nos sens et s'intéresse à certains détails peu mis en avant dans un anime.

L'atmosphère particulière d'un jour de pluie, l'attention portée aux pieds quand il s'agit de créer des chaussures, dénuée ici de tout fétichisme mal placé.

Les deux personnages sont dans leur monde, un espace-temps bien à eux, délimité par un orage matinal, alors qu'autour d'eux le monde continue à s'agiter.

C'est une tranche de vie délicate qui se dévoile avec les espoirs de certains, et les blessures des autres.

Pas de fantastique une fois de plus, le quotidien est suffisant pour nous inviter à rêver et à être émus.

Techniquement le film est de nouveau magnifique, avec une dominante verte et une atmosphère des plus rafraîchissantes.

Quelques effets 3D intégrés discrètement viennent rajouter un peu de zeste à la réalisation.

 

La version française, proposée par le studio Wantake, est tout à fait correcte.

Même si, encore une fois, devant un film si délicat et au cœur de la vie japonaise, la VOST semble s'imposer d'elle-même.

Sur le disque, l'éditeur propose également une série d'entretiens où le réalisateur, et les comédiens japonais principaux parlent longuement du film.

Il y a aussi une animatique, un storyboard animé complété par, fait amusant, quelques plans en prises de vues réelles.

Garden of Words est une douceur qui s'apprécie grandement et confirme encore un peu plus le talent du réalisateur qui fête alors ses 40 ans.

 

Au fil de ses œuvres, on comprend comment le cinéaste a réussi à mélanger dans Your Name les nombreux éléments qu’il avait déjà effleurés auparavant.

Les problèmes sentimentaux adolescents évidemment, mais aussi la description du quotidien…

Une petite touche de fantastique et un rythme parfois léger, parfois soutenu, parfois contemplatif, ce qui apporte une variété réjouissante au service du film.

 

Your Name : la consécration

©2016 TOHO CO., LTD. / CoMix Wave Films Inc. / KADOKAWA CORPORATION /

 East Japan Marketing & Communications,Inc. / AMUSE INC. / voque ting co.,ltd. / Lawson HMV Entertainment, Inc

Your Name

Réalisation : SHINKAI Makoto. Disponible en vidéo chez All the anime.

 Pendant longtemps, alors même que Miyazaki échoue année après année à prendre sa retraite, tout le monde a cherché, et cherche parfois encore, un successeur au célèbre réalisateur.

Une quête sans fin et dénuée de sens, le fondateur de Ghibli ne pouvant être remplacé en tant que tel.

Parmi la liste des jeunes réalisateurs en lice pour ce titre, le nom de Shinkai Makoto, 44 ans en 2017, a régulièrement pu être évoqué.

Surtout quand le 26 août 2016, Your Name (君の名は。Kimi no na wa.) sort au cinéma, et devient rapidement le succès de l’année au Japon.

Puis, à l’international, avec 331 millions de dollars de recettes au total, le titre devançant même Le Voyage de Chihiro du précédemment cité Miyazaki Hayao.

Shinkai, autodidacte, avait marqué les esprits dès Voices of a distant star, réalisé quasiment seul en 2002.

Mais ses longs métrages ultérieurs ont souffert de la comparaison un peu facile avec Miyazaki.

Surtout quand le jeune artiste s’est aventuré sur le terrain de la fable écologiste sur fond de fantasy, comme cela a pu être le cas en 2011, avec Voyage vers Agartha.

En 2004, avec la Tour au-delà des nuages, Shinkai s’essayait à l’uchronie au travers de l’histoire de trois personnages unis par une même promesse :

Hiroki, Takuya, et Sayuri, une jeune fille plongée dans un profond sommeil.

Le temps qui passe, qui risque de menacer les liens entre les personnes, de tout faire oublier, est déjà souvent présent dans les thématiques du réalisateur.

Il s’appuie sur ses propres obsessions, et la compréhension très fine qu’il a de la jeune génération, avec une candeur adolescente restée intacte, sans jamais verser dans la niaiserie.

Ce qui permet à Your Name de s’affranchir des rapprochements pesants avec ses glorieux aînés.

Le long métrage est rapidement devenu un phénomène à tous les niveaux.

L’autodidacte qui dormait au studio pour finir son premier film durant son temps libre est désormais le réalisateur d’un des anime les plus lucratifs de tous les temps.

Cette réussite s’explique en partie par le fait que c’est la première fois que le cinéaste réunit un comité de production pour soutenir son film, lui permettant d’être distribué très largement au Japon.

Parallèlement, le roman écrit par Shinkai durant la production du film, disponible en France chez Pika, s’est aussi écoulé à un million d’exemplaires sur l’archipel.

Your Name (Roman)  

De SHINKAI Makoto (2017). Pika Roman, traduit par Jean-Louis De La Couronne.


Your Name a également pu booster le tourisme grâce aux multiples spectateurs qui veulent découvrir les endroits où se promènent Taki et Mitsuha.

Et enfin, Hollywood s’est même rapidement manifesté, avec un projet d’adaptation qui suit son cours. Fin 2022, c’est à López Estrada qu’incombe la lourde tâche de tenter d’adapter l’histoire en prises de vues réelles.

En France, Eurozoom a connu un joli succès sur la longueur malgré un nombre de copies en salles assez modeste.

Le film a ainsi cumulé plus de 250 000 entrées en 13 semaines d’exploitations.

Puis All the Anime, le 22 novembre 2017, a sorti Your Name en DVD et Bluray en plusieurs éditions, dotées de différents bonus vidéo identiques à la sortie vidéo japonaise :

Une présentation de l’œuvre avec plusieurs comédiens de doublage, un sujet sur la filmographie du réalisateur, deux clips du groupe Radwimps, et quelques bandes-annonces pour un total d’une quarantaine de minutes.

 

Le film est structuré en plusieurs actes très marqués, et commence sur un rythme extrêmement punchy, très plaisant, avant de changer complètement de registre.

Ce qui permet d’installer une émotion qui submerge le spectateur alors que le long métrage tresse subtilement ses différentes trames narratives à l’approche du dénouement de l’intrigue.

Les musiques du groupe Radwimps font partie intégrante de ce délicat équilibre. Elles ne sont clairement pas étrangères à l’efficacité de certaines scènes clés.

Your Name arrive à nous faire oublier un instant tout le reste.

C’est un petit moment de grâce et d’émotion qui ne dure qu’une fraction de seconde comme le kataware-doki, l’heure magique, quand tout oscille entre le jour et la nuit, et qu’on ne sait ce qui pourrait apparaître.

 

Le film présente aussi, l’air de rien, le malaise que peuvent ressentir de nombreuses personnes qui cherchent quelqu’un, tout simplement.

Un reflet de nos sociétés néolibérales qui sont toujours violentes socialement, parfois déshumanisées, et pas du fait de la technologie, contrairement à ce que certains voudraient croire.

C’est cette variété de rythme, cette richesse dans les tons et les sujets abordés, qui constituent une des grandes réussites de l’œuvre.

Pourtant le réalisateur a eu plus de mal par le passé à soutenir l’attention du spectateur sur un format long.

Il était clairement plus à l’aise sur du court ou du moyen-métrage comme en 2013, quand il développe The Garden of Words.

Your Name fait d’ailleurs quelques légers clins d’œil à cette histoire. Comme ce sera aussi plus tard le cas dans Les Enfants du temps.

Le cinéaste a néanmoins résisté, jusqu’à présent, à la tentation d’un « SCU », un Shinkai Cinematic Universe, interconnecté et plus étendu.

Le film reprend certaines des thématiques chères à l’auteur.

Il raconte comment les vies de Mitsuha, une jeune fille de dix-sept ans, lycéenne dans la ville (fictive) reculée et bucolique d’Itomori, et Taki, lycéen tokyoïte timide, se retrouvent d’un coup intimement entremêlées.

Sans qu’ils sachent pourquoi, les deux adolescents intervertissent leur corps plusieurs fois par semaine.

Ils doivent alors apprendre à vivre dans le corps, et l’environnement social, de l’autre.

Le thème du changement de corps a souvent été traité dans la fiction japonaise, mais Shinkai se révèle ici être un très bon réalisateur de comédie romantique, style auquel il s’était peu essayé auparavant.

Dans l’édition proposée quelques mois plus tard chez @Anime, le film est présent en VO, avec des sous-titres qui contiennent malheureusement encore une ou deux coquilles, et en VF.

Exercice intéressant et périlleux quand les dialogues doivent jouer sur d’autres ressorts linguistiques que ceux de la VO.

Par exemple pour faire comprendre aux spectateurs, par exemple, qu’une fille, bloquée dans un corps de garçon, se retient de parler comme une jeune fille, justement.

Là où le japonais recourt à des pronoms personnels spécifiques ou à des particules grammaticales réservées aux hommes et aux femmes, le français devra lui tirer parti, entre autres, de la confusion sur l’accord au féminin.

La VF évite également d’incorporer trop de termes japonais tels que l’expression kataware-doki, le crépuscule, un mot pourtant gardé en VOST et un thème clé développé durant tout le long métrage.

 

Un an après sa sortie ciné, et même encore plus tard, on découvre avec plaisir que l’œuvre résiste très bien au revisionnage.

Plaisir par anticipation ou non, on ne peut s’empêcher d’avoir le cœur serré, en espérant que Taki et Mitsuha finiront bien par se souvenir des quelques détails sur lesquels la mémoire leur fait défaut.

Car Your Name, est aussi, entre autres, un film sur la mémoire :

Celle de ceux qui nous sont chers, la pensée des événements joyeux ou tragiques de notre histoire.

La mémoire qui nous définit, car qui sommes-nous quand les faits marquants de notre vie sont vécus en fait par quelqu’un d’autre ?

On oubliera peut-être le fil du récit, l’intrication subtile de ses différentes péripéties, mais les noms de Taki et de Mitsuha, eux, resteront gravés longtemps en nous.

Et celui de son réalisateur Shinkai Makoto aussi.

Un réalisateur qui n’est pas un nouveau Miyazaki.

Qu’importe.

À travers cette œuvre, Shinkai a déjà transcendé un destin peu enviable que certains lui réservaient, en tant que pâle copie de l’animateur barbu qui n’arrive pas à prendre sa retraite.

Shinkai ne peut plus être un nouveau Miyazaki, maintenant qu’il a su trouver l’équilibre juste entre son sens de la narration, ses préoccupations, et tout ce qui fait dorénavant son style bien à lui.

Les regards peuvent donc se tourner sereinement vers Yonebayashi Hiromasa qui présentait en 2017 son film Mary et la Fleur de Sorcière. Essai malheureusement pas forcément transformé pour le réalisateur de Souvenirs de Marnie et d’Arrietty toujours en lutte pour gérer correctement son héritage post-Ghibli.

Shinkai, lui, peut désormais être celui qu’il veut, il n’a plus qu’un seul ennemi :

Lui-même.

Car après le succès de Your Name, il va devoir se renouveler pour raconter d’autres histoires toutes aussi touchantes.

(Pour en apprendre davantage sur le film, une interview du réalisateur est disponible ici.)

 

Dépasser Your Name

 

Et pour cela, il reste avec le producteur Nakamura Genki pour tenter un exercice d’équilibriste périlleux : réitérer l’exploit de Your Name, dans un film forcément très attendu, sans se répéter, ni décevoir.

La pression est sans aucun doute d’un tout autre niveau.

©2019 TOHO CO., LTD. / CoMix Wave Films Inc. / STORY inc. / KADOKAWACORPORATION / East Japan Marketing & Communications, Inc. /voque ting co., ltd. / Lawson Entertainment, Inc.

                                                                                Les Enfants du Temps                                                    

                                    Réalisation : SHINKAI Makoto. Disponible en vidéo chez All the anime.


Le challenger s’appelle donc Les Enfants du temps (天気の子, Tenki no ko, Weathering with You) sorti en juillet 2019. Au box-office japonais, le pari est remporté, le titre devenant le long métrage le plus rentable de l’année.

L’œuvre semble moins convaincre le public français avec un meilleur démarrage, mais finalement, moins d’entrées avec pourtant plus de copies :

235 copies pour les Enfants du Temps et 228 000 entrées, face à 182 copies et 274 687 entrées pour Your Name.

Le bouche-à-oreille avait permis une exploitation qui allait en augmentant en 2016.

Peut-être est-ce dû au ton plus pessimiste des Enfants du temps qui parle de catastrophes climatiques, et de son protagoniste, Hodaka, égoïste et nettement moins sympathique que les personnages précédents de Shinkai. Un adolescent assez crédible, mais dont le manque de maturité peine à provoquer un peu d’empathie.

Le film raconte la rencontre du lycéen et d’une jeune fille, Hina, qui peut contrôler la pluie et dégager le ciel.

Techniquement, le tout demeure d’une beauté formelle incontestable, mais charme moins la critique.

Le public, lui, globalement, semble toujours au rendez-vous.

Les Enfants du Temps est parfois déchiré entre l’envie de profiter de la réussite de Your Name, le réalisateur faisant un clin d’œil à ses personnages durant le film, et la nécessité de proposer totalement autre chose.

Sans renouveler le succès immense et imprévu de Your Name, Les Enfants du temps reste une œuvre très efficace qui essaie peut-être de jouer un peu trop sur les ingrédients des films précédents.

Cela n’empêche pas le cinéaste de se mettre sur son nouveau projet qui sort en France en salles ce 12 avril, Suzume (すずめの戸締まり, Suzume no tojimari) et dont le triomphe à l’international est déjà confirmé en battant des records, 4e plus gros succès pour un film d'animation japonais, dépassant récemment les 248 millions de dollars de recette en étant exploité jusqu'à début avril 2023 dans seulement 7 pays dont la Chine, et surpassant les blockbusters récents comme le film One Piece RED.


© 2022 “Suzume” Film Partners

Suzume

Réalisation : SHINKAI Makoto. Distribué par Eurozoom, en salles le 12 avril 2023.


Eurozoom distribue le film en France, qui devrait être visible dans 400 salles en VF ou en VOST.

L’histoire nous présente le road-trip de Suzume et de Sôta à travers le Japon pour refermer des portes mystérieuses et ainsi éviter de nombreuses catastrophes qui pourraient s’avérer dévastatrices.

Sans en dire plus, à découvrir au cinéma.

Pour en savoir plus sur le film, Crunchyroll a mis en ligne une interview du réalisateur, sous-titrée en français :


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